Remise à zéro
- Tomtomsail
- 7 août 2019
- 9 min de lecture
Dernière mise à jour : 8 oct. 2019
J’ai 43 ans, je suis bipolaire, et je sors de mon rendez-vous chez mon psychiatre chez qui je fais une thérapie cognitive et comportementale pour soigner mes angoisses qui me valent d’être en arrêt maladie depuis 8 mois.
Il vient de me dire qu’afin de combler les vides qui me pèsent et me remplissent d’angoisses surtout depuis que ma femme Cécile a repris le travail et que je suis seul à la maison, je devrai penser à faire des choses qui lui ferait plaisir à elle.
Cécile est convaincue que j’écris bien alors je vais essayer en même temps que de lui faire plaisir de tâcher de comprendre comment j’en suis arrivé là, en écrivant mon histoire. Quels événements de vie, quelles crises traversées m’ont amenés à la situation d’aujourd’hui qui fait que je ne parviens plus à exercer mon métier et où toute démarche même la plus anodine, toute action est devenue sujet d’appréhension, de peurs et de doutes.
Car oui aujourd’hui je me sens vide, dénué de sens. J’ai perdu celui que je mettais dans le travail qui m’occupait le temps et l’esprit plus qu’il ne me permettait de m’épanouir.
Et oui vendre des contrats d’assurance a peut-être un sens pour certains, pour moi c’était avant tout le moyen d’avoir du contact humain, de nouer des relations. Mais je n’étais pas assez féroce pas assez accrocheur, un gentil quoi…
Et quand je mettais un costume j’avais l’impression d’être déguisé, que je partais en représentation à chaque rendez-vous. Je mettais mon déguisement pour endosser un rôle. Le rôle du bon cadre en assurance bien propre sur lui.
Et j’ai craqué un 3 mars 2016 à un repas entre collègues. Je n’entendais plus les paroles, j’étais loin, j’avais l’impression que j’allais partir, m’effondrer. J‘en informe mon manager qui prenant conscience de mon état me dit que je ne peux pas rentrer avec ma voiture de fonction chez moi. Il me commande un taxi qui arrive peu de temps après. Le retour se passe comme dans un flottement, il me tarde de rentrer chez moi, retrouver ma femme, mon amour, ses bras…
J’étais vide, je n’avais plus d’énergie, même plus celle de dormir…
Il faut dire que les années passées avaient été difficiles. Alors que j’avais un poste sédentaire qui consistait à faire du suivi client et qui correspondait tout à fait en terme de stress à ma pathologie, on m’avait à la faveur d’une réorganisation fait passer sur un poste commercial et qui au fil des années est devenu de plus en plus commercial. Cela a atteint son apogée en 2013 alors que j’avais la responsabilité du portefeuille et des ventes par courtiers sur 4 régions administratives.
Les premiers mois se sont bien passés. Mais le gros de notre activité en terme de charge de travail se situait sur le dernier trimestre. Le stress s’est alors intensifié. En plus je devais me faire opérer le 13 décembre 2013 d’une hernie inguinale et je crains beaucoup les anesthésies générales.
L’ensemble de ces peurs additionnées a déclenché un épisode hypomaniaque.
Un épisode hypomaniaque est une crise du trouble bipolaire au cours duquel on se sent tout puissant, avec des capacités intellectuelles décuplées, on dort 4 heures par nuit et ça nous suffit. On boit énormément de café et on fume beaucoup. C’est très dur à vivre pour l’entourage car il est très dur de nous suivre, les idées fusent, la voix change, le comportement aussi, etc...
On conduit vite, on est performant, on raisonne rapidement mais ce n’est pas viable.
Mon psychiatre dit que nous les bipolaires nous nous mettons dans ce genre d’état pour fuir la réalité qui est trop difficille à assumer pour nous. Comme si on enfilait la cape de Superman pour régler tous les problèmes.
Mais on sait que quelque chose ne va pas, en tous cas moi je le sais quand je suis comme ça. J’ai un pied dans la réalité et un pied dans mon délire. J’ai l’impression que cet état se voit tellement que je ne comprends pas que mes collègues ne l’aient pas remarqué.
Mon Directeur lui l’avait remarqué. Pendant l’arrêt de travail de ma hernie je n’avais pas cessé de travailler de chez moi, la charge de travail étant très importante j’avais peur de ne pas m’en sortir. A mon retour un mail envoyé en interne sur un ton trop impératif avait attiré son attention.
Il m’avait mis en garde sur la nécessité de garder de bonnes relations avec nos interlocuteurs en interne. Emu aux larmes tellement j’étais à bout j’allais quitter son bureau quand il me retint et me demanda de fermer la porte.
Il m’indiqua avoir remarqué que je n’allais pas bien et me parla d’un ami qui avait des « hauts et des bas » mais que cela ne semblait pas être mon cas. Je lui rétorquai qu’il n’en savait rien et m’assit devant son bureau et lui confiait que c’était bien mon cas, que j’étais bien bipolaire mais que je souhaitais que cela ne sorte pas de son bureau car cette maladie était très galvaudée. Il me parla avec sincérité de son ami qu’il était allé chercher un jour dans un hôpital psychiatrique. Il a reconnu à cette occasion qu’il n’aurait pas du me laisser travailler pendant ma convalescence et m’a dit qu’il serait vigilant à l’avenir concernant ma charge de travail, qu’il m’épaulerait, ce qu’il a toujours fait par la suite.
Je savais que c’était une personne de grande valeur mais ce jour là il m’a prouvé sa grande ouverture d’esprit.
Cela ne m’a pas empêché de m’effondrer en larme dans les bras de ma femme en rentrant chez moi ce soir là. Je m’étais juré depuis que j’avais changé de Directrice, qui était elle même au courant, de ne pas craquer, de ne pas révéler ma pathologie à qui que ce soit comme s’il s’agissait d’un secret honteux. Il faut dire que quand vous voyez un assassin sur deux dans les films qui est bipolaire et quand à la machine à café on dit de quelqu’un qu’il est bipolaire parce qu’il est seulement lunatique, ça donne pas envie de se confier.
Il m’a fallu vivre avec ce secret au travail alors que certaines journées étaient difficiles, alors que je traversais des phases hautes et basses.
Après cet épisode, il a fallu se reconstruire. Car tout se paye dans cette maladie. Les phases hautes sont suivies de phases basses, dites dépressives. Il faut alors adapter le traitement, apprendre à vivre sans toutes ces formidables capacités qui se sont évaporées, redevenir comme tout le monde et triste en plus. Sans envies, sans joie de vivre. Serrer les dents, se lever, aller au travail, ne rien laisser paraître ou le moins possible.
C’est plus dans ces phases là que des collègues ont pu remarquer ma tristesse.
Ca dure des mois… Plus la crise hypomaniaque a été forte, plus ça dure longtemps.
Et ça revient petit à petit. Le plus dur c’est cette sensation de ne jamais se sentir bien.
Et on est tellement à la recherche de ce que c’est être bien qu’on en oublie parfois que tout le monde a des hauts et des bas et que parfois on est « normal ».
Nous étions au printemps 2014 et tout allait mieux, l’été passa et en septembre un rhume me conduit chez mon médecin généraliste qui connaissait mon traitement que je lui rappelai pourtant ce jour là.
Cela ne l’empêcha pas de me prescrire de la prednisone produit à base de cortisone dont les sportifs se servent comme dopant.
Il n’en fallait pas moins pour réveiller le feu qui sommeillait en moi et en un week-end s’était reparti. Une nouvelle crise hypomaniaque qui allait elle aussi durer des mois se déclencha.
S’en était reparti des idées de grandeurs, des dépenses, du cerveau qui tourne à plein régime, du sentiment de n’être jamais fatigué, de ne jamais se poser, se reposer. Et cela dura jusqu’en fin d’année pour ensuite passer son triste relais à la dépression. C’était reparti pour un tour. J’étais en bas de la montagne et il fallait la gravir à nouveau petit à petit.
Etrangement ou plutôt logiquement ces deux crises deux années de suite se sont déclenchées sur des périodes de forte activité. Nos contrats se renouvelaient en grande partie en janvier de chaque année alors nous passions le dernier trimestre à négocier… et il fallait aussi vendre d’autres contrats.
Je crois que j’avais du mal à gérer tout cela, à ingérer toutes ces informations. Et petit à petit, dossier après dossier le stress montait et je me sentais dépassé par les événements entrainant chez moi une perte de mes repères de confiance. Je perdais pied. Ce n’est pas que je n’étais pas capable intellectuellement de gérer ces échéances mais leur accumulation faisait que j’étais dépassé, noyé, apeuré.
J’ai perdu confiance en moi, en ma capacité à faire les choses, je me suis dévalorisé tant et si bien que maintenant j’ai toujours peur de mal faire.
Et cela résonne encore en moi aujourd’hui quand je ne me sens pas capable de faire les courses, le ménage, j’ai peur de ne pas pouvoir stocker suffisamment d’information
Je n’ai pas réussi à me relever de cette crise de 2014/2015, j’étais trop fatigué, j’étais lassé de me battre.
La moindre tache dans mon travail était devenu un obstacle que j’avais du mal à surmonter et en avril 2015 il y a un jour où j’ai dit stop. Je suis allé voir mon médecin qui m’a mis en arrêt de travail pour 5 semaines.
J’ai ensuite repris tant bien que mal mais je n’ai pas réussi à remonter complètement la pente.
La fin de l’année fut chargée avec néanmoins des contrats intéressants mais un séisme (pour un bipolaire comme moi qui a du mal à gérer ses émotions) m’attendait à la rentrée des vacances de Noël.
Le 5 janvier, j’étais chez moi après être rentré d’un rendez-vous client et que je travaillais en home office, j’apprend par un simple mail que mon Directeur était viré à effet immédiat et que donc il ne remettrai pas les pieds au bureau le lendemain. Je me souviens avoir eu envie de chialer quand je l’ai eu au téléphone alors qu’il me rassurait.
Ma figure protectrice, presque un ami, en tous cas un confident quand ça allait pas bien était remercié du jour au lendemain.
Je revois ma femme apprenant la nouvelle me demandant « ca va aller », « ca ne va pas te déclencher une crise ».
Et ça n’a pas loupé !
C’était un mardi, j’ai tenu le reste de la semaine et dans les trois semaines qui ont suivi j’ai eu deux semaines d’arrêt maladie. Oui j’étais touché, oui j’étais marqué, oui je ne savais plus où j’étais tellement j’avais perdu mon repère, la bouée qui me maintenait hors de l’eau au boulot…
Je réalise maintenant à quel point j’étais fragile tout ce temps. Combien de vacances je me suis gâchées emmenant avec moi dans ma tête des dossiers sensibles qui tournaient en boucle sans solution alors qu’il n’y avait rien de compliqué mais que moi j’y voyais tant de difficultés.
Je passerai volontairement rapidement sur ce qui s’est passé ensuite tellement ce n’est pour moi pas digne de la société pour laquelle j’ai travaillé pendant 15 ans. J’ai demandé à changer de poste. On m’a proposé un poste au siège à Paris, tout d’abord avec des aides financières puis 4 jours après ces aides n’étaient plus d’actualité (quelle mesquinerie) ou bien une rupture conventionnelle.
J’ai failli accepter la rupture conventionnelle mais je voulais une indemnité plus importante en réparation du préjudice. A ce jour vu que je suis toujours en arrêt maladie Coface refuse de me répondre.
Il est important pour moi aujourd’hui de me dire que tout ce qui s’est passé n’est pas de mon fait, que ce n’est pas moi qui ait été défaillant mais que j’ai été victime de ma maladie. Je n’étais pas incapable de faire ce que l’on me demandait mais c’était au dessus de mes forces, de ma capacité de résistance au stress, à accumuler un grand nombre d’informations anxiogènes et stressantes.
Je ne suis donc pas incapable de faire des choses, je peux faire beaucoup de choses mais il faut que je reprenne confiance. Il faut juste trouver mon domaine de compétences, l’activité dans laquelle je vais me sentir bien, à l’aise et pas en difficulté. Cela existe, je le sais et je le trouverai.
On pourrait même dire, hormis le fait de la difficulté d’exercer un métier avec du stress alors que je suis bipolaire, que ce métier n’était pas fait pour moi, que je ne suis pas fait pour être commercial. Il faut avoir les dents longues, aimer l’argent, aimer séduire et moi j’aime qu’on m’apprécie, nouer des relations amicales, parler de sujets profonds et humains. Faire ce métier était pour moi une façon d’avoir du contact avec les gens et de leur rendre service car avant tout j’aime être utile aux autres, les aider à régler leurs problèmes quand je les sens dans la difficulté. C’est en cela qu’un poste de suivi client me convenait bien. Je répondais à leurs questions, leur apportait des précisions sur leurs contrats, leurs factures, les aider à régler leurs problématiques.
Je suis sensible alors je me sens concerné quand les gens ont des problèmes. J’étais beaucoup moins intéressé par le fait de vendre des contrats même si cela répond également à une problématique pour le futur client.
Bref, je crois que je n’étais pas fait pour ça. Certains craquent et ne sont pas bipolaires pour autant.
C’est déjà beau que j’ai pu faire ce métier quelques années correctement même si cela n’a pas été sans problèmes.
Il faut maintenant que je trouve une activité dans laquelle je m’épanouisse, que j’aime exercer.
Cette pension d’invalidité que j’obtiendrai peut-être, qui me garantira grâce au contrat de prévoyance de Coface un revenu fixe et suffisant, me permettra de me concentrer sur la recherche de métiers moins lucratifs et plus confidentiels mais que je pourrai prendre car je n’aurai pas de contrainte de revenu.
Je suis content d’avoir écrit ces quelques pages aujourd’hui. Cela faisait longtemps que cela ne m’était pas arrivé. Ca fait du bien. Quand on dit que c’est une thérapie c’est vrai.
Par la suite je vais tenter de savoir ce qui fait que dans ma vie j’en suis également arrivé là où je suis, de mes origines aux événements marquants récents qui font que ma vie n’est pas une histoire banale contrairement à ce que je crois…
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